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Pepsi 70

couverture livre Pepsi 70

Le Pavillon Pepsi à l’expo universelle d’Osaka de 1970, conçu par le collectif d’artistes E.A.T. signa l’émergence de la culture globale qui accouchera de l’Internet libertarien actuel, c’est à dire celle de l’unification de la contre-culture états-unienne des années 70, de la cybernétique, et des technologies avec le capitalisme dans un grand show capteur de nos corps-gnitions dans leur intégralité.

Voici la thèse développée par Fred Turner, Gabrielle Schaad et Nicola Jancovik dans Pepsi ‘70, Une multinationale à la rencontre de la contre-culture.

Experiment in Arts and Technology (E.A.T.), était un collectif d’artistes et d’ingénieurs, prestataire clef en main d’entertainment sponsorisé à grand coup de levées de fond défiscalisées (Jankovik, p.50). Fondé par les ingénieurs Billy Klüver et Fred Waldhauer ainsi que les artistes Robert Rauschenberg et Robert Whitman, ils se rendirent célèbres pour le soutien qu’ils apportèrent aux collaborations entre techniciens, scientifiques et artistes autour de projets très divers: des évènements théâtraux (les 9 evenings) avec Yvonne Rainer ou John Cage, de la danse avec Trisha Brown et Fujiko Nakaya, des programmes télévisés, des show lasers dans des clubs, ou une collaboration avec le centre Pompidou de Renzo Piano pour la conception de ses écrans extérieurs.

Ils proposèrent avec le Pavillon Pepsi non seulement un monument à la cybernétique mais aussi une déclinaison psyché d’art contemporain et d’architecture version foires internationales. Même si ils travaillaient avec le style artistique de la contre-culture, EAT recherchait avec ardeur la collaboration des dirigeants de l’Amérique entrepreneuriale, (Turner, p.80).

structure en metal du d$ome géodésique

Dôme géodésique, gestion sensorielle des déplacements des visiteurs, ambiances sonores dirigées par des cartes Hollerith, le pavillon offrit une expérience multimédia immersive où le dispositif de communication et d’information était conçu comme un outil de contrôle et un instrument de libération, les deux à la fois. Le chemin de chaque visiteur dépendait de ses choix à l’intérieur de cet environnement sous contrôle sensitif, où chacun déambulait avec un appareil audio collé à l’oreille.

deux hommes asiatiques collent sur leurs oreilles deux appareils qui ressemblent à des télécommandes

Fred Turner et les autres auteurs de ce petit ouvrage pétillant des éditions B2 décrivent par le menu les soubassements idéologiques de cette expérience totale architecturale et artistique.

Fred Turner, l’auteur de Aux sources de l’utopie numérique : De la contre culture à la cyberculture, insiste ici à nouveau: la dimension de contrôle social et de modélisation du projet cybernétique de Wiener tel que formulé dans La Cybernétique. Information et régulation dans le vivant et la machine (1948) va attirer de nombreux planificateurs et concepteurs urbains, et fonder l’idéologie technosolutionniste qui sous-tend aujourd’hui par exemple la mise en œuvre des smart cities.

C’était donc une préfiguration de ce que la cybernétique et les contre-cultures ont accouché de pire: l’individualisme consumériste globalisé, le glissement politique libertarien, l’idéologie devenue planétaire de la Silicon Valley et la désirabilité de son mode de vie. Les critiques sombrèrent sur E.A.T.: alors que la guerre faisait rage en Asie, que des troubles et assassinats agitaient la vie politique américaine, associés à des compagnies privées, en plein cœur de la guerre froide, des artistes déployaient des versions soft power des technologies de l’armée américaine pour en faire du spectacle.

le pavillon sous la brume

⁂ Le site https://www.experimentsinartandtechnology.org/ nous permet de parcourir l’ensemble des projets, manifestes et collaborations de E.A.T dont de nombreuses vues et schémas techniques du Pavillon Pepsi. On y retrouve aussi bien des descriptions des dispositifs de contrôle sons et lumières que des vues des extérieurs du dôme - qui pouvaient créer un brouillard artificiel dissimulant partièlement le bâtiment - ou des évènements qui eurent lieu à l’intérieur.


Tuner Fred, Pepsi ‘70, Une multinationale à la rencontre de la contre-culture. Préfaces de Gabrielle Schaad et Nicola Jancovik, Éditions B2, Collection Design, Mai 2017.

Tuner Fred, Aux sources de l’utopie numérique : De la contre culture à la cyberculture, Caen, C&F Éditions, 2013.