A propos de Cocoaïans par Gauz
Je découvre Armand Patrick Gbaka-Brédé alias Gauz avec Cocoaïans, un livre-essai qui ressemble à un conte à dérouler lors d’une veillée. Bien qu’il soit ivoirien, j’entends en le lisant les Yé Krik et les Yé krak, je vois un Monsieur Médouze fumer sa pipe assis derrière le feu, au milieu de la plantation et un groupe autour près à lui répondre et à scander, rythmant le récit de ses exclamations, répétitions et autres tchips à rallonge.
Cocoaïans est une fable à plusieurs voix, une pièce pour acteurs et chœur sur le modèle antique, un voyage historique entre poésie et essai politique spéculatif.
Je me suis toujours insurgée du fait que la Suisse et la Belgique étaient devenues des grandes nations productrices de chocolat alors que la graine de cacao venait d’ailleurs, me prenant des regards étonnés ou des soupirs agacés.
Gauz nous raconte les racines de cette incurie, qui suspend la Côte d’Ivoire, principal producteur mondial de cacao aux aléas des cours mondiaux de sa fève, à l’asservissement du fournisseur de matière première à bas prix d’une industrie du chocolat qui, ailleurs valorise la transformation de ses graines à prix fort. Poudre, œuf, plaques, tablettes, rien ne vient des pays producteurs.
Gauz revient sur les débuts de la culture de la graine américaine sur le continent africain, raconte la colonisation, les guerres, l’indépendance, les guerres encore, le FMI, l’ONU, toutes les ingérences mais aussi les gabegies locales menées par ceux qui se sont assis dans les sièges vacants des anciennes métropoles coloniales. Il nous raconte aussi à travers un dialogue intergénérationnel, l’histoire d’une famille et d’une communauté d’agriculteurs cacaoyers, malmenés par les vents contraires, les erreurs, les espoirs déçus.
Il mêle la grande et la petite histoire en faisant des allers retours entre passé et projection dans le futur, de la fôret de Gbaka en 1908 à un Trechville de 2031: il fabule une nation chocolat, résistante, qui à coup de grève tente d’imposer une hausse des prix de la graine et pourquoi pas, la création d’une industrie de la transformation, sur place, dirigée par des ivoiriens souverains, devenus spécialistes du chocolat de l’arbre à la table.
Et il projette, loin son imaginaire et sa foi en des autres destinées possibles, en imaginant une nation cocoaïans, qui sur le modèle des cartels de la drogue sud-américains, reprendrait la main de la production à la transformation, à la distribution, jouant sur la rareté pour faire monter les cours, révélant l’addiction mondiale à la graine de cacao.
Un livre dense, à scander à plusieurs, fort et haut.
Cocoaïans par Gauz, Des écrits pour la parole, L’Arche éditeur, 2022.